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Dire ou ne pas dire

Par Lydia Lassaux, formatrice au Cefem.

 

Lorsqu’une personne âgée manifeste un vieillissement cognitif difficile et qu’elle est exposée à une « mauvaise nouvelle », une question peut émaner des familles, des proches mais aussi des équipes soignantes : « doit-on le lui dire ? »

Cette question vient interroger le regard que l’on porte sur la personne âgée et à la fois le regard qu’on porte sur soi en tant qu’aidant.

 

Quel regard porte-t-on sur la personne? Etiquetée malade, âgée, on la pense vulnérable, en manque de ressources suffisantes. La croyance que la personne âgée n’est pas capable de traverser des émotions intenses telles que la tristesse, la colère voire la révolte est tenace. « A quoi bon? », « Elle ne sait plus! », « Elle n’a plus toute sa tête ». Que de sentences! La personne est associée à une identité déficitaire.

Par souci de protection, on prend le parti de taire la situation. Pour protéger qui? La personne ou nous-mêmes?

Au niveau cognitif, qui sait ce que la personne comprend? Le mental faisant défaut, les émotions prennent le relais. La personne désorientée ressent davantage la réalité plus qu’elle ne la pense. Elle ne sait pas dans sa tête mais sait dans son cœur.

Ainsi, j’ai le souvenir d’une dame désorientée, dont la famille avait tu le décès de sa fille, qui a commencé à développer ce qu’on appelle arbitrairement des troubles du comportement de type mutisme (ne parlait plus, fermait les yeux) et de l’opposition lors des soins. Nous avons informé et accompagné la famille.

Lors de l’annonce, la dame a ouvert ses grands yeux bleus, nous a fixé très intensément et nous a dit « je le savais ».

Elle savait mais elle ne savait pas mettre des mots dessus. D’ailleurs comment aurait-elle pu mettre des mots sur ce qu’elle vivait puisque qu’elle n’avait pas entendu ces mots? Elle manifestait par son attitude, son comportement et jusque dans son corps que quelque chose la perturbait, qu’il y avait un « non-dit ». Elle le savait, sans le savoir « mentalement ».  Adapter notre communication afin de communiquer de cœur à cœur et non de mental à mental est indispensable. Se brancher sur le bon canal de communication est indispensable.

Ne pas dire est une chose, mentir en est une autre. En effet, qu’en est-il si la personne pose des questions? Qu’en est-il quand le personnel soignant est pris en otage par le désir de ne rien dire de la famille? Il élude, esquive, ment… La relation de confiance est mise à mal. En mentant, on crée davantage de confusion chez la personne qui ne peut plus se fier à son intuition, pourtant essentielle lorsque le mental fait défaut.

Quel regard porte-t-on sur soi dans ce contexte d’annonce d’une mauvaise nouvelle? Ai-je les mots, moi qui suis également dans le désarroi? Ai-je les ressources pour soutenir mon proche alors que je me sens moi-même vulnérable? Les familles, les proches nécessitent un accompagnement, un accueil inconditionnel où le non-jugement est la règle.

Les soignants, les familles, les proches ont toujours de bonnes raisons de cacher la vérité. Si l’on écoute attentivement, l’intention de départ est bonne. Entendre les valeurs qui sous-tendent ces bonnes raisons est un levier puissant lors de l’échange.

Nous sommes face à des proches en souffrance qui décident de ne pas dire. Arrêtons-nous un instant, accordons leur l’espace, l’écoute, le soutien nécessaire pour qu’ils puissent se poser et se déposer. C’est également les encourager à mettre des mots sur ce qu’ils vivent afin de les transmettre au proche avec ou sans notre présence. L’annonce est facilitée lorsque la famille sent ce relais pendant et après.

Dans les moments douloureux, nous avons besoin de nous retrouver, traverser la rivière ensemble, main dans la main. Lorsque famille et/ou soignants mettent des mots sur la réalité du moment avec la personne désorientée, c’est tous deux qui peuvent vivre la réalité du moment, permettre de vivre ce qui est.

Même si nous nous sentons démunis, disons-le, disons notre tristesse, notre impuissance, parfois notre révolte. Partageons notre vécu tout simplement dans la transparence de la vérité.

Les familles craignent l’explosion émotionnelle. Les émotions ne sont ni négatives ni dangereuses. La colère, la tristesse, la révolte sont normales. Elles ont simplement besoin d’être accueillies, surtout légitimées et accompagnées. Ne pas dire fait courir le risque d’implosion.

Le mensonge est une double peine pour la personne désorientée : celle d’apprendre dans l’après- coup et celle de la trahison de ses proches voire du personnel soignant. Les émotions peuvent être plus intenses.

Mettons-nous un instant à la place d’une personne qui vit un vieillissement cognitif difficile. Est-ce que l’on souhaiterait que l’on nous cache la vérité? Est-ce que l’on serait d’accord d’être considérée comme incapable de comprendre, trop fragile, trop vulnérable, n’ayant pas suffisamment de ressources ou toute autre bonne raison qui ferait que l’on ne serait pas traitée comme une personne à part entière avec qui on peut partager des moments de vie aussi importants que la mort, la maladie…?

Mais comment dire sans imposer la vérité? Lorsqu’une personne pose une question, elle a un besoin de réponse. Ce questionnement est une main tendue pour créer le contact et raccrocher à la réalité.  Lorsqu’on ne veut pas savoir on ne pose pas de question. Il s’agit de faire confiance aux ressources de la personne. Respectons impérativement ce choix.

Aller au rythme de la personne, c’est aussi l’accompagner dans ce qu’elle vit émotionnellement et si elle le demande, lui donner de plus amples informations. L’accompagner dans la vérité pas à pas. C’est la personne qui nous guide.

Madame X vivait en MRS. Son appartement avait été vendu. Elle avait une fille avec qui elle était en conflit et elle était sous administrateur de biens. Cette dame faisait quotidiennement ses paquets. Elle demandait plusieurs fois par jour de téléphoner soit à un taxi soit à un déménageur. L’institution avait fini par lui couper la ligne de sa chambre et lui mentait à chaque demande. Cette dame ne connaissait rien de sa situation. Elle réclamait son appartement, voulait à tout prix le réintégrer, posait sans cesse des questions. Légitimement.

Je n’avais moi-même pas de réponse. Je lui ai demandé si elle était d’accord que je me renseigne auprès de son administrateur de biens et sa fille. Elle marqua son accord et signifia son impatience de savoir quand est ce qu’elle rentrerait chez elle.

D’abord, il s’agissait de partager l’information au rythme de madame. En premier lieu, prendre les précautions nécessaires. Dans sa chambre, nous nous sommes assises et j’ai partagé mon embarras « J’ai eu votre avocat,  je suis mal à l’aise de vous dire ce que j’ai appris parce que c’est peut-être pas ce que vous voudriez entendre. On se connait bien, j’ai toujours été transparente avec vous… »

Puis, la chose la plus importante est de demander à la personne si elle veut savoir même si la nouvelle peut lui faire mal ou si elle préfère ne pas savoir et respecter sa réponse en lui faisant confiance. C’est elle qui sait pour elle. C’est elle qui décide.

En l’occurrence, madame X a voulu savoir. Je lui ai annoncé la vente de son appartement. Sa fille avait fait garder ses meubles au sein d’un garde meubles. Passées quelques secondes de sidération, la réaction de colère fut immédiate. La colère mêlée de tristesse a duré plusieurs semaines. Ces vagues émotionnelles étaient accompagnées par toute l’équipe.

Emotions toutes légitimes encore une fois. Or, l’émotion est notre boussole pour s’orienter et mobiliser nos ressources. Du jour au lendemain madame X n’a plus fait ses paquets, n’a plus ressenti le besoin d’appeler taxi et déménageur.

Dans ce contexte-ci, c’est l’accueil inconditionnel qui soulage et qui permet de traverser la rivière.

Quelques mois après, la résidence a dû fermer ses portes. Cette dame a fait le choix de rester dans sa commune. Elle a visité la maison de repos de son choix et s’y est installée paisiblement.

Croire en la capacité de faire face! Croyons-nous toujours à la capacité de résilience de la personne âgée?

Croire! Notre rôle de soignant plus que jamais.