Aller au contenu

“Capsi”? Vous avez dit « capsi » ??

Par Anne Ducamp, psychologue et formatrice au Cefem,

 

En tant que psychologue clinicienne, mon outil principal de travail est la parole et par conséquent l’écoute.

Formatrice au Cefem depuis une dizaine d’années, je donne principalement des formations sur les désorientations et les soins palliatifs avec l’intime conviction que la parole véhiculée par le langage quel qu’il soit est ce qui nous donne notre humanité.

Lorsque je me suis intéressée aux personnes désorientées, je suis entrée dans un univers où les mots de notre langage commun s’embrouillent, se ‘distorsionnent’, se font pointillés, se font rares et finalement s’absentent. Un certain langage n’est plus mais est ce que pour autant la parole n’a plus de fonction?

C’est la rencontre avec les soignants pris au sens large du ‘prendre soin’, et plus particulièrement ceux travaillant en MR-MRS qui m’a en quelque sorte initiée à ce monde si particulier de l’accompagnement des personnes désorientées.

Lorsque en formation sont dépliées, parlées, pensées les difficultés liées à leur prise en charge lors de cas concrets apportés par les participants, l’expérience et l’expertise de chacun, travailleurs et formateur, l’une et l’autre relayées par la parole nourrissent et nuancent le savoir de chacun.

Ce que la personne désorientée nous apprend entre autres est bien la nécessité de protéger, tout au long de son long processus de détérioration neurologique, sa qualité d’être humain jusqu’au bout. C’est à dire que cette fonction première de la parole qui est de signifier que nous sommes bien dans une relation humaine se doit d’être préservée. Lorsque les mots perdront leur sens, il s’agira d’offrir par la parole un tissage fait de mots qui se fera contenant, musique, réconfort, affection, humanité. Il en va d’ailleurs aussi de l’humanité des soignants.

Forte de l’expérience qui se construisait de formation en formation, de lecture en lecture, quelle ne fut cependant pas ma surprise d’entendre tout à-coup, dans le décours de la présentation d’une situation mettant à mal le personnel, quelqu’un, quelqu’une, je ne me souviens plus, qui résuma la situation par ces quelques mots:

 « Oui mais cette personne-là, madame, … c’est un ‘ capsi’!!! »

Au vu des regards qui s’échangèrent, du silence qui s’ensuivit, j’ai eu cette impression bizarre d’être confrontée à quelque chose qui ne regardait que les seuls initiés, c’est à dire ceux qui ‘savaient’ de quoi il était question…. Un savoir qui a eu cette particularité, instantanément, de suspendre la parole, d’annuler tout débat, à l’instar de fragments échappés d’un secret de famille et qui vous plombent toute une atmosphère.

Devant mon air interloqué et un temps de désorientation manifeste :« Capsi, vous avez dit capsi? mais qu’est ce que cela veut dire? »

Une âme charitable a bien voulu m’en dire un peu plus.

« Mais oui madame, ceux qui viennent de la psychiatrie, ceux qui ont des maladies psychiques, les ‘Cas psy’ quoi! »

Le franc est donc tombé, mes yeux se sont dessillés. J’ai mieux compris le malaise des soignants, le silence. C’est ainsi que j’appris la présence de plus en plus fréquente depuis quelques temps de ces personnes pas nécessairement très âgées, souvent ‘institutionnalisées’ de longue date, en général sous traitement psychotrope, identifiées comme souffrant de troubles psychiques par la psychiatrie et les outils de diagnostic clinique.

Ma première réaction, en tant que psychologue clinicienne a été l’effarement: « Ce n’est pas leur place en MR et MRS; rien n’est prévu pour ce type de personnes! »

En effet d’une part elles sont souvent trop jeunes par rapport à l’âge moyen des résidents de ces institutions, d’autre part elles requièrent un accompagnement particulier et le personnel des MRS n’en n’a pas la compétence ni le temps.

Mais la réalité actuelle est là: notre pays manque de structures accueillant les personnes souffrant de maladie mentale, vieillissantes et qui pour certaines développent aussi des maladies neurologiques dégénerescentes type Alzheimer ou autre.

Ma seconde réaction m’a ramenée, tout en n’en pensant pas moins, à ma posture de formatrice face à des soignants en difficulté: ouvrir à nouveau la parole, contextualiser la situation amenée, favoriser les échanges et réflexions, donner quelques repères théoriques aussi et surtout sortir les « cas psy » du silence, du malaise, des a priori, généralisations et catégorisations en tout genre.

En d’autres mots, il s’agit bien de revenir au singulier, c’est à dire trouver qui se cache derrière cette identité de « cas psy». Il s’agit bien encore et encore d’une rencontre, même si cette rencontre semble échapper à certains moments à tous repères communs.

Le personnel des MRS sera amené à accompagner des personnes présentant des troubles et réactions « étranges ». Tout cela peut éveiller en chacun des appréhensions, du rejet, de l’évitement, de la colère, car cet ‘autre’ est trop différent, il ne fonctionne pas « comme nous », il déborde ou se fige, il ne veut pas qu’on le touche, il est mutique, logorrhéique, il délire, il hallucine, il soupçonne, il est prostré, il est excité, il est dans une tristesse infinie, il est débordé par l’angoisse, il décompense, il passe à l’acte…

Cet autre là fait peur. Et en plus, lui, … il n’a pas de problème neurologique!

Cela ne sera donc pas simple et va requérir de se remettre encore et toujours à l’ouvrage.

Les questions sont donc ouvertes: comment apprivoiser ses peurs et de se faire curieux du fonctionnement humain que la maladie mentale vient mettre en lumière, comment être inventif aussi afin d’oser l’aventure de la relation, comment ouvrir ses sens et son coeur afin d’accueillir le poids des souffrances psychiques, comment être professionnel encore et toujours.

Mais aussi comment donner à ces mêmes professionnels les moyens de leur permettre de partir à la découverte de la personne dissimulée dans le « cas psy »?


Le CEFEM a développé une nouvelle formation: « Troubles psychiatriques en MR et MRS« .

Pour les travailleurs des MR-MRS du secteur privé (CP 330.01.20), cette formation peut être financée par le FE.BI (association des Fonds Sociaux Fédéraux et Bicommunautaires – secteur des personnes âgées) au sein de l’institution ainsi qu’en session ouverte.

Laissez un commentaire