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Réflexion autour de la contention

Bien que fréquent, le placement d’une contention n’est jamais un geste anodin.

Une réflexion de Lydia Lassaux, psychologue et  formatrice au CEFEM

 

« Fût-il de soie, il n’est lien qui agrée ! » Luis De Gongora (1561-1627)

 

Certains envisagent la contention comme « une démarche de soins ». Contention et prendre soin (care) peuvent-ils coexister ? Prendre soin est porter une attention particulière à quelqu’un. Lorsqu’on adopte pour nos ainés une philosophie du care, la contention a-t-elle sa place ?

La contention est un acte difficile à poser. Elle ne devrait pas être banalisée comme mettre une barrière de lit systématiquement. Une utilisation raisonnée, éthique est indispensable. Sa mise en place devrait être fonction du risque réel excluant le réflexe sécuritaire. Aucun moyen technique ne remplace la « veillance » du résident.

Souvenons-nous de l’éthique de la réciprocité dont le principe fondamental est « traite les autres comme tu voudrais être traité » ou  « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».

Accompagner sans contention physique ni chimique une personne qui vit un vieillissement cognitif difficile nécessite de voir la personne au-delà de ses pertes cognitives. Tenter de le « normaliser », c’est la nier.

Prenez le risque de rencontrer la personne, sans essayer par tous les moyens de la maitriser, de penser, agir et décider pour elle. Vous risquez de faire une belle rencontre riche en enseignement sur elle et sur vous!

Vivre attaché, est-ce vivre ?

« Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe qu’on va se laisser marcher sur l’autre». François Mauriac

 

Au-delà de 65 ans, le recours à la contention physique est plus fréquent : 4 fois plus important  que chez les plus jeunes. En MRS, elle est davantage mise en œuvre chez des personnes présentant un vieillissement cognitif difficile.

Qu’est-ce qui justifie de priver partiellement ou complètement le résident de ses libertés ?

En 2001, le conseil wallon du 3eme âge définit la contention comme suit : « Appareil ou procédé destiné à immobiliser une partie du corps humain dans un but thérapeutique ou de sécurité de la personne âgée qui représente un comportement mal adapté ou dangereux » .

La contention nécessite une réflexion à plusieurs niveaux : le respect des droits fondamentaux de l’homme, une réflexion professionnelle, une réflexion légale, une réflexion en matière de responsabilité, une réflexion en matière de sécurité et avant tout une réflexion éthique.

Dans le cas d’une contention physique proposée (souvent imposée) à une personne désorientée, on peut se poser la question du respect de l’autonomie (capacité à décider pour soi-même), de la dignité humaine et donc de la qualité de vie et par extension des soins. De nombreux textes de lois explicitent le droit à la liberté de l’individu comme l’article 5 de la convention des droits de l’homme, la loi sur les droits du patient de 2002 et bien d’autres…

En 2010, la fondation Roi Baudouin a édité un guide pratique des droits des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentée. Il est précisé que “ comme n’importe quel autre patient, la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer a le droit, après avoir été correctement informée, d’accepter ou de refuser l’intervention médicale qui lui est proposée ”.

La charte européenne des droits et des responsabilités des personnes âgées nécessitant des soins et une assistance de longue durée insiste sur la dignité humaine, comme droit inviolable, en affirmant dans son préambule : « L’âge et la perte d’autonomie ne peuvent à eux seuls justifier des restrictions aux droits de l’homme et aux libertés civiles inaliénables reconnus par les normes internationales et consacrés par les constitutions démocratiques. Tous les individus, indépendamment de leur sexe, de leur âge ou de leur degré de perte d’autonomie ont le droit de jouir de ces droits et libertés, et tous ont le droit de défendre leurs droits humains et civils ».

Malgré la perte progressive de leurs capacités de jugement, de nombreux résidents restent capables de nous faire part de leurs décisions si nous prenons le temps de les écouter et observons davantage leur communication non verbale.

Il existe différentes mesures de contention : physique, chimique, architecturale, psychologique… Sans s’en rendre compte, elles peuvent se cumuler.

L’isolement qui a été la règle pendant des mois durant la pandémie dans les MRS en est une et a eu des conséquences sévères sur la santé mentale des résidents.  Or, la définition est claire : « mesure thérapeutique qui vise à soustraire, momentanément un sujet du milieu environnant afin de: le sécuriser, le protéger, lui éviter des nuisances, la perte de sa dignité, permettre l’action d’un médicament, le protéger contre lui-même ou protéger les autres »

Lorsque l’on sait qu’immobiliser dans le seul but d’éviter la déambulation revient à une privation de liberté illicite, on peut l’apparenter à de la maltraitance.

Plusieurs raisons sont invoquées pour le placement d’une contention.

Des raisons liées au résident : la majorité des personnes qui sont “ contenues ” sont des résidents souffrant de démence à risque de chutes. Dans 95% des situations, il s’agit d’éviter la chute afin de prévenir les blessures secondaires. Or, on constate le plus souvent que la contention est fondée sur une impression de risque ou fantasme sur les conséquences de la prise de risque plutôt que sur une évaluation précise de ce risque. Autres raisons liées au résident : maitriser l’agitation et les comportements dits inadaptés.

Il existe d’autres raisons davantage liées à l’institution comme le manque de personnel,  une structure non adaptée, une architecture ne permettant pas de répondre aux besoins du résident  … Ces dernières ne devraient en aucun cas motiver une contention. Et pourtant…

La contention physique peut être dans certaines situations nécessaire. Son recours doit rester exceptionnel et l’ultime recours compte tenu des risques qu’elle comporte et des conséquences parfois irréversibles qu’elle entraîne chez les sujets « fragilisés ».

Force est de constater qu’au domicile, elle est beaucoup moins utilisée. Comme s’il était permis de connaître plus de risques en restant chez soi, plutôt qu’en vivant en maison de repos.

Autres exemples : La prescription d’antipsychotique en MRS : 32 % pour les >75 ans, hors MRS 5.2 %

52% des résidents  > 75 ans en MRS reçoivent un antidépresseur contre 22% au domicile. Source Stéphane Adam , Ulg.

Si la contention se justifie, elle sera le résultat d’une démarche méthodique, rigoureuse, respectueuse et humaine. Ce jugement clinique basé sur une approche globale, est un élément essentiel de la prise de décision.

La prestation technique de la contention est reprise comme acte infirmier. Si elle est envisagée, elle relève d’une prescription médicale obligatoire étayée par une réflexion multidisciplinaire (et non seul, sauf urgence) où sera prise une décision ou pas (alternatives) grâce à une  analyse de la situation (recueil de données : évaluations via observations et échelles). Une déclaration de contention (fiche individuelle) sera rédigée. Une surveillance sera programmée, mise en œuvre et retranscrite dans le dossier de soins infirmiers. Le résident et ses proches seront informés.  La contention doit impérativement préserver l’intimité et la dignité du résident et surtout être REEVALUEE REGULIEREMENT. Iriscare, préconise tous les 7 jours. Certaines contentions demandent d’être réévaluées quotidiennement. En  2004 Hamers et al… constataient que la contention physique en maisons de repos s’élevait à 49% de la population et dans 90%, celle-ci continuait pendant plus de 3 mois.

Le projet d’établissement est garant de la cohérence de la politique institutionnelle vis-à-vis de la liberté d’aller et venir et du recours à la contention. Ce projet doit être connu de tous : salariés, familles, résidents.

Rappelons que la contention n’est envisageable qu’en cas d’échec des alternatives médicales, environnementales, relationnelles et lorsqu’il existe un danger élevé à court terme. La recherche préalable d’alternatives à la contention doit être systématique et on optera toujours pour la mesure efficace la moins contraignante.

Autre point important, le résident quel que soit son état physique et/ ou cognitif  doit être informé de la nécessité de la contention. Son consentement est recherché. Sont explicités : les raisons et buts de la contention, les moyens utilisés, la durée prévisible, ainsi que les modalités de surveillance. Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas.

La famille n’a pas de rôle décisionnel.  Elle ne peut demander et encore moins exiger une contention. Elle est informée en qualité de représentant. Néanmoins, elle nécessite un temps d’échange, quelle que soit la décision, en soignant le discours. Par exemple en évoquant  « la qualité de vie » et « le bien-être » plutôt que la sécurité à tout prix.

La question de la qualité de vie en maison de repos est primordiale. Elle rejoint la question du risque. La « bonne » mesure de celui-ci permettra au résident de vivre ses libertés, son auto-détermination, d’éprouver un certain bien-être. Il a donc le droit de vivre des risques, de prendre des risques car à force d’empêcher les risques, on risque d’empêcher de vivre.

 

Pour certaines personnes âgées, la contention peut être vécue comme sécurisante. Pour d’autres, nous observons et entendons généralement un sentiment de restriction de liberté sans vraiment en comprendre la raison.

La restriction du pouvoir d’autodétermination est manifeste. Certains se résignent (pulsion de mort) : syndrome dépressif, repli sur soi ou pire, ils glissent. D’autres, « se rebellent » (pulsion de vie) augmentant l’agitation, la colère, les cris, la révolte, la peur, l’anxiété, les troubles du comportement, les comportements défensifs, l’inconfort… Sans parler du sentiment d’emprisonnement, d’être mis à l’écart et la perte de dignité. Avons-nous demandé au résident son ressenti lorsqu’il doit faire son entrer dans le restaurant de l’institution en chaise roulante, muni d’une ceinture de contention face aux autres résidents ? Certains s’épuisent à vouloir se délivrer. Que de souffrances psychologiques.

Du côté du soignant, une étude réalisée dans un service de psychiatrie a montré que la prise en charge des patients « contenus » engendrait chez les infirmiers des sentiments de culpabilité, d’anxiété et de frustration. La contention n’entraîne donc aucun sentiment de sécurité pour les soignants, contrairement à ce qui est attendu. Christophe Dejours parle de souffrance éthique du soignant « devoir faire ce qu’on ne veut pas faire et avoir l’impression de ne pas pouvoir bien faire son travail ».

 

Les conséquences d’une chute sont faciles à imaginer. Mais connaissez-vous les répercussions physiques, psychologiques et sociales que peut avoir l’usage de la contention?

Attacher une personne n’a jamais fait la preuve de son efficacité pour prévenir les chutes, les blessures ou les troubles du comportement comme l’agitation. La contention peut augmenter l’agitation et n’est pas exempte de risques.

L’immobilisation prolongée par une contention expose le résident au risque de déconditionnement physique et psychologique (dépression, sentiment d’humiliation…) qui augmente la probabilité de chutes ou de blessures, escarres sans parler des accidents qui conduisent même parfois à la mort.

 

L’avis du conseil wallon précise que « les mesures de contention, de surveillance ou d’isolement, lorsqu’elles sont correctement appliquées, visent un juste équilibre entre le souci de préservation des droits et de la dignité de la personne âgée et de protection de celle-ci contre elle-même et tout risque potentiel »

Que peut-on envisager ?

Au niveau du personnel soignant : La formation (démence, rechercher l’étiologie du trouble du comportement,  soins relationnels, faire face à l’agressivité, dépister la douleur physique et la souffrance psychologique, connaitre les risques, les limites de la contention et ses alternatives…), favoriser l’approche multidisciplinaire, remettre en question ses pratiques, revoir les tâches, les rythmes…

Au niveau institutionnel : Avoir des locaux adaptés, être en nombre suffisant,  revoir la philosophie de soin : sécurité vs liberté.

Au niveau des familles / proches: créer et maintenir le dialogue et la relation de confiance.