La place des proches des Résidents en soins palliatifs en MR et MRS
Par Françoise Van den Eynde, Psychanalyste & Formatrice au Cefem
J’ai choisi d’utiliser le terme de «proches » plutôt que de parler des « membres de la famille », le proche exprimant la notion de proximité au sens figuré du terme, au sens psychique. En effet, les proches d’un résidant au sein d’une MRS sont aussi des personnes – des voisins ou des amis de longue date par exemple- qui ont tissé des liens affectifs importants avec le résident avant l’entrée de ce dernier dans l’institution, et qui dès lors représentent avec les membres de la famille les personnes les plus intimes pour ce dernier.
AU COMMENCEMENT …
Parler des soins palliatifs revient à parler de la fin. Afin de mieux saisir ce qui se passe pour le proche pendant cette période douloureuse, il nous faut revenir au commencement, c’est-à-dire au moment de l’entrée du résident dans la maison de repos et de soins.
Il serait plus juste de parler d’une période d’entrée au sein de l’institution. C’est un passage extrêmement important et délicat, qui est généralement traversé avec difficultés par la personne âgée.
De nos jours, dans la plupart des cas, la personne âgée entre en MRS le plus tard possible, souvent après avoir pu profiter des services de soins à domicile lorsque les proches n’étaient pas ou n’étaient plus en mesure de répondre à leurs besoins. Cette démarche ne correspond pas toujours à son désir, loin s’en faut. Et parfois elle n’a ni le choix, ni le temps de se faire à cette idée.
Le changement des habitudes de vie est radical. La personne doit s’adapter à une vie en communauté qui requiert l’observance d’un certain nombre de règles. Elle découvre un environnement où tout est différent et au sein duquel il lui faut créer de nouveaux liens avec les soignants ainsi qu’avec les autres résidents. J’utilise ici le terme de soignants au sens large, c’est-à-dire l’ensemble des professionnels de la MRS.
Elle est fragilisée suite à la perte d’un grand nombre de ses repères (conjoint, lieu d’habitation, voisinage, animaux domestiques, choix des horaires, habitudes de vie…).
Cette période commence avec la demande proprement dite, ensuite l’entrée est effective, et enfin elle s’achève lorsque que le résident s’est plus ou moins bien adapté dans sa MRS, ce temps nécessaire variant sensiblement d’une personne à l’autre.
REJOIGNONS LE PROCHE…
Ce qui est rarement dit, c’est que le placement du résident bouleverse également la vie du proche, même si les conséquences sont moindres pour lui. C’est généralement ce dernier qui s’est vu obligé de « placer » son parent. Soit dit en passant, ce terme utilisé couramment en dit long sur la position du sujet âgé, nous y reviendrons plus loin.
Le proche a aussi des deuils à traverser.
Par exemple, il ne peut désormais plus rendre visite au résident comme il le faisait lorsque ce dernier vivait à son domicile ; l’intimité est souvent difficile à préserver en MRS, surtout lorsque la personne âgée occupe une chambre à deux lits et que la visite inattendue d’un soignant ou d’un autre résident est possible à tout moment.
C’est très souvent un événement inopiné qui précipite un « placement » ; soit une hospitalisation à la suite de laquelle la personne âgée ne peut plus vivre seule à son domicile car son état demande des soins trop importants, soit la personne est désorientée et n’est plus en mesure de vivre de manière autonome. Parfois encore, c’est le décès du conjoint qui précipite la nécessité d’une entrée.
En tout état de cause, le proche est soumis à rude épreuve. Il doit porter la responsabilité de la mise en place de ce changement de vie et il se trouve bien souvent démuni face aux difficultés d’un tel événement, tant sur le plan émotionnel que matériel (financier, administratif).
La question du commencement est donc très importante pour les résidents et pour les proches.
Il s’agit de les accueillir avec humanité et respect, et de s’en donner les moyens.
Accueillir les proches, cela signifie leur donner une place au sein de l’institution.
Ces personnes ne savent pas toujours très bien comment se situer dans ce nouveau contexte. Ils se sentent souvent inutiles, perdus. Ils ont besoin de temps pour intégrer les nouvelles règles de la maison de repos, pour comprendre à qui ils doivent s’adresser lorsqu’ils ont une question ou lorsqu’ils désirent signaler une information importante concernant le résident. Ils ont besoin qu’on leur donne des repères et des messages clairs. Ils demandent à être rassurés. Mais généralement ils le formulent de façon implicite, avec maladresse, et parfois de manière agressive. Il y a à les écouter « entre les lignes », et cela demande de l’attention et du temps aux soignants qui sont trop souvent débordés par les multiples tâches qui leur sont imposées. La disponibilité d’esprit nécessaire pour ce faire demande un climat de confiance et un respect mutuel.
Les proches ont transmis leur «pouvoir» aux soignants, si l’on peut dire. Soit ils en éprouvent un certain soulagement, soit ils ont le sentiment d’avoir perdu le privilège de pouvoir soigner la personne âgée. Ils peuvent se sentir très inquiets d’être forcés de déléguer leurs responsabilités à des inconnus, si professionnels soient-ils.
Culpabilité, colère, tristesse, gêne, peurs, sentiment d’abandon sont alors au rendez-vous. Ces émotions créent des non-dits et des passages à l’acte qui rendent les contacts malaisés voire impossibles.
Il est indispensable qu’une relation de confiance s’établisse entre les soignants et les proches.
Une triangulation doit se mettre en place : résident-soignants-proche(s), triangulation sous-tendue du soutien des soignants par leur direction.
La situation peut être rendue plus délicate encore lorsque les proches d’un même résident ne « s’entendent » pas entre eux. Il ne faut pas perdre de vue qu’une longue histoire de vie entre le résident et ses proches précède l’entrée en l’institution et que les éléments de ce « roman familial » échappe à la compréhension des soignants.
Les proches sont en réalité à considérer comme partenaires des soignants, le résident étant au centre des préoccupations de chacun.
Lorsque ce n’est pas le cas, deux positions sont généralement prises par les proches ; soit ces derniers s’absentent et se distancient de leur parent ou ami, soit ils envahissent la MRS et les soignants, tentant de maîtriser la moindre des actions de ces derniers, exigeant d’eux qu’ils répondent à tous leurs désirs!
Heureusement, une histoire mal commencée peut évoluer positivement, à condition que chacun ait la capacité et le désir de se remettre en question et de poser un regard neuf sur l’autre en s’éloignant de l’imaginaire, en l’écoutant. Cela nécessite de pouvoir prendre un certain recul, de pouvoir« décoller l’étiquette » qui s’est spontanément fixée dans le dos de l’interlocuteur! Cela s’appelle le jugement, et malheureusement personne n’y échappe. D’en prendre conscience permet de pouvoir s’en éloigner.
Une des conditions indispensables à l’établissement de relations suffisamment harmonieuses entre les différents intervenants est que chacun d’eux puisse occuper une place clairement définie, et puisse parler en son nom. Ce qui signifie qu’il soit considéré comme sujet.
Pour que les proches bénéficient d’une place au sein de la MRS, des règles doivent être établies et des relations doivent pouvoir se créer avec les professionnels. Ceci n’est possible que si ces derniers ont la capacité de se situer au sein de leur institution, et pour ce faire ils doivent être reconnus par leurs pairs et par leur hiérarchie. Lorsque ces conditions sont rendues impossibles, la violence surgit.
La confiance existante entre les professionnels de la MRS peut se transmettre aux résidents et à leurs proches. « Se fier à » une personne demande de pouvoir s’appuyer sur elle, c’est-à-dire sur sa parole.
Les liens humains se créent par la parole.
LA PLACE DE LA PAROLE
Je donne des formations et je supervise des équipes de soignants dans le cadre du Cefem pour différentes institutions : hôpitaux, MR-MRS …
Les soignants que j’interroge en début de formation concernant leurs motivations me demandent majoritairement ceci : « Que dois-je dire au résident ou au proche dans telle situation? Comment dois-je me comporter face à tel comportement »? En somme, ils me demandent LA bonne réponse à donner, LA réponse toute faite qui pourrait leur éviter la rencontre avec l’autre. L’angoisse de la rencontre est extrêmement prégnante dans notre société actuelle. Les moyens de communication sont nombreux et omniprésents mais ils opèrent comme obstacles à la rencontre, ils empêchent la parole.
La loi du marché est dominante. C’est le « donnant-donnant » qui mène le jeu. Le résident paie et les soignants se doivent de répondre à ses attentes. Ces propos me sont régulièrement rapportés au cours des formations et des supervisions par des soignants travaillant au sein de MRS. Les aides-familiales qui ont un statut précaire sont les plus touchées par ce genre d’injonctions.
Dans certaines MRS, la remise en question est vécue comme inquiétante et la surveillance se généralise à l’ensemble des personnes. La présence de caméras de surveillance se banalise. On est loin de la relation de confiance dans ces cas de figures et la qualité des soins s’en ressent. Un soignant mal soigné par sa hiérarchie est un soignant qui est mis à mal pour prodiguer des soins à un autre. Cet état de fait mène un nombre important de professionnels au « burn-out » – terme très en vogue – pour ne pas dire à l’épuisement psychique et physique.
Avant toute chose, il leur est demandé de se montrer actifs et efficaces, productifs. De faire.
Les soignants qui prennent un peu de temps pour écouter un résident sont perçus comme ne faisant rien; écouter signifie Rien Faire!
La parole est réduite, dévalorisée. Si se mettre à l’écoute d’un résident est interdit, que dire à propos de l’écoute d’un proche? Celui-ci devient alors un élément perturbateur, un interlocuteur de trop dont on ne sait que faire.
Les réactions violentes et récurrentes des résidents et des proches devraient être entendues et prises en compte car elles sont symptomatiques des dysfonctionnements existants au sein des MRS.
Dans une société où la maîtrise tente à se généraliser, la parole subjective est malvenue.
Or, être humain, c’est avoir accès à la parole. Et lorsque l’on parle on ne maîtrise pas tout ce que l’on dit. Les mots échappent régulièrement au contrôle du sujet parlant.
La personne âgée est trop souvent considérée comme objet plutôt que comme sujet. On « place » un objet, pas un sujet.
La parole ne permet pas de tout dire, de dire totalement et exactement ce que l’on vit, ce que l’on ressent, ce que l’on voudrait dire, et en ce sens, la parole ment. Elle est toujours du côté du raté. Il y a toujours un manque, qui est de structure. Or, notre société consumériste ne supporte pas le manque. La parole est évincée, remplacée par la communication qui se doit d’être efficace et rapide mais qui est alors inconsistante.
Les soins sont médicalisés à outrance dans un grand nombre de MRS, et la parole est souvent évitée, remplacée par des antidépresseurs et des anxiolytiques.
Pour combattre les douleurs physiques, la médecine dispose de médicaments très efficaces. Par contre, la souffrance morale ne peut pas être éliminée totalement. Alors, trop souvent, il reste à essayer de la faire taire. Le prix à payer est lourd. L’angoisse et le mal-être sont omniprésents.
Qui prend le risque de la rencontre avec l’autre se risque à la parole, et celui qui écoute n’en ressort pas indemne. Qui plus est lorsqu’il s’agit de s’approcher de la mort.
LA FIN
Rares sont les résidents qui ne terminent pas leur vie au sein de leur MRS. Parfois bien sûr, lorsqu’ils nécessitent des soins médicaux trop lourds ils décèdent à l’hôpital, mais ils demandent presque toujours que leurs soignants les accompagnent jusqu’au bout de leur chemin.
Après une histoire de vie plus ou moins longue au sein de sa MRS, le résident, entouré de ses soignants et de ses proches va faire face à la difficulté de mourir.
La qualité relationnelle de son entourage est directement corrélée aux liens qui se sont tissés auparavant entre les proches, les soignants et le résident, et cela depuis l’entrée de ce dernier au sein de l’institution.
Les mots « soins palliatifs » ne sont pas nécessairement officialisés par le médecin et parfois l’état du résident est dénié. Le médecin et les soignants n’ont pas toujours une vision semblable des soins les plus adéquats pour le résident, ce qui peut occasionner des tensions au sein de l’équipe.
Les proches se sentent démunis. Mais s’ils ont pu accompagner leur parent au fur et à mesure du temps passé en MRS, en ayant été eux-mêmes accompagnés par les soignants, prenant peu à peu connaissance et conscience de la dégradation physique et éventuellement psychique de la personne, la mort a probablement pu être pensée. La fin est plus rarement déniée et le proche sait qu’il va devoir faire le deuil de la relation avec son parent, d’un « à-venir » ensemble. La perte est proche.
Le travail psychique de séparation peut commencer.
La mort est un tabou dans notre société.
Il n’est pas facile d’en parler.
Les proches posent souvent des questions qui embarrassent beaucoup les soignants : « Quand est-ce que ma maman va mourir? », « Croyez-vous que ça va encore durer longtemps? », ou encore, «Vous qui avez l’habitude, pouvez-vous me dire comment cela va se passer? », … et après le décès : « A-t-il souffert? » …
Les soignants sont supposés tout savoir concernant la mort. Parfois, ils n’ont reçu aucune formation concernant la fin de vie des résidents. Certains d’entre eux ont peur au point de ne pas oser entrer dans la chambre du résident.
Il est alors fort compréhensible qu’ils me demandent un savoir unique sur ces questions dérangeantes et douloureuses pour lesquelles nul ne détient LA bonne réponse. En guise de protection, ils se réfugient dans le mutisme et la distance.
Dans une MRS, s’approcher – se rendre proche – des parents de la personne âgée en fin de vie, est aussi important que s’approcher du résident en soins palliatifs. Les proches restent trop souvent à l’écart, ne sachant pas trop quoi dire, quoi faire, comment réagir?
Oser aller à la rencontre du proche, l’écouter, lui adresser la parole, lui permettre de poser des questions et d’émettre des critiques, l’interroger sur ce qu’il vit par rapport aux soins palliatifs de son parent, tout cela peut sembler anodin, voire inutile, mais si on interroge les proches dans l’après-coup du décès, on réalise que ces échanges restent gravés dans leur mémoire. Les soignants qui ont fait cette expérience s’en souviennent aussi et par la suite, ils se permettent plus facilement d’entrer en relation avec eux.
Je voudrais saluer les grandes qualités humaines des soignants que je rencontre, eux qui malgré le manque de temps et de moyens qui leur est généralement accordé, ont une capacité d’adaptation et une créativité extraordinaire, et plus que tout, un désir d’être présents pour les résidents et pour leurs proches.
« Un jour, j’ai demandé à un homme qui se savait mourant ce qu’il attendait avant tout de ceux qui prenaient soin de lui. Il me répondit « que quelqu’un ait l’air d’essayer de me comprendre ». Certes, comprendre pleinement autrui est impossible, mais je n’oublierai jamais que cet homme ne demandait même pas que quelqu’un y parvînt, mais se sente suffisamment concerné pour essayer. » (1)
Ce passage écrit par Cicely Saunders et repris par Philippe Van Meerbeeck me semble très éclairant sur la place de l’écoute. Je propose de l’appliquer également aux proches.
A pleins regards
Surprendre les mots
Qui se promenaient tous nus dans l’appartement.
Les habiller
De résonances ajourées
Faire miroiter
Consonnes et voyelles
Puis sortir les mots des murs
Les conduire à la source
Et boire avec eux
Marie-Claire d’Orbaix « Devenir la joie du brin d’herbe », éd. Vie ouvrière, Bruxelles, 1991